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Plus de 27.000 kilomètres,
douze pays traversés, six mois d'aventure dans le sillon de la Panaméricaine.
Du Mexique aux confins de l'Argentine, ce voyage mène au cœur de territoires
qui oscillent entre traditions et modernité. Première étape de grand périple
: le Mexique et l'Amérique Centrale. Une épopée à travers les siècles qui conduit
des citées en ruines, au génie technique triomphant du canal de Panama, en passant
par les villes coloniales. Un voyage hasardeux dans des pays pas très sûrs.
A l'excitation se mêle une pointe d'angoisse… |
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Par
monts et par vaux…
Dans
la capitale la plus polluée du monde, on a les yeux qui piquent et on crache
ses poumons. Le temps d'une balade dans le quartier historique, la " zona rosa
" ultra chic américanisée et dans les marchés populaires, et déjà l'appel des
grands espaces retentit... En route ! Munie d'un sac à dos trop lourd et d'un
appareil photo pour toute richesse, je sillonne le Mexique dans tous les sens.
De bus ultra-moderne en bus défoncé, de Jeep en pirogue, ou marchant des heures
durant, les kilomètres défilent à travers déserts, montagnes, jungles et rivières
conduisant au cœur de magnifiques citées antiques. En ces lieux vivaient jadis,
bien avant l'arrivée des espagnols, des civilisations complexes et florissantes
: le peuple de Teotihuacan, les mystérieux Olmèques, les Zapotèques, les Toltèques,
etc… et les célèbres Mayas. Ils vénéraient le soleil, la lune, adoraient des
créatures du règne animal et construisaient des citées grandioses. Dans ces
royaumes d'archéologie, on entre dans un univers passionnant, étrange et mystérieux.
Jouant les exploratrices, je scrute des temples aux milles et unes fresques,
tente désespérément de déchiffrer le calendrier maya, s'engouffre dans des tunnels
obscurs, gravis des pyramides sacrées…
La piste des Mayas, conduit à San Cristobal, jolie petite ville dans les montagnes
du Chiapas. Retour brutal à la réalité ! Militaires et barrages font redouter
le pire. Le gouvernement craignant une "éventuelle attaque zapatiste (¹)
", les lieux sont désertés et l'accès aux villages indiens alentour devient
interdit aux étrangers alors soupçonnés d'espionnage. Zut ! " On va contourner
les barrages en empruntant les pistes de montagne " me proposent des amis locaux.
Le voyage est pénible et poussiéreux, mais ni vu, ni connu, nous arrivons à
destination. Dans ces terres ancestrales, vivent des peuples descendants des
Mayas. Chaque village a son propre dialecte, son costume typique et ses traditions.
Mais des siècles d'oppression, ont rendu les indigènes méfiants, voir hostiles.
Au fils des jours je glane des sourires, apprends quelques mots de dialecte,
partage les jeux d'un groupe d'enfants, aide à la cueillette du café… C'est
à regret que je reprends la route.
Au
cœur du monde maya
On
entre au Guatemala par la Panaméricaine, la route qui relie les deux Amériques
via l'Amérique Centrale. Dans le pays, les "bus à poules " sont légendaires.
On y voyage coincé entre deux pneus, une cargaison de légumes, tandis qu'une
poule vous picore les pieds et qu'un sac volant vient s'écraser sur votre tête.
Et
s'il n'y a plus de place dedans, il reste la galerie ! Quand ces véhicules très
exotiques, font le coup de la panne, j'en profite pour perfectionner mon espagnol
en sympathisant avec les autochtones. Ainsi,
au rythme des rencontres, hasards et des bus, je trace mon chemin. Naguère,
le Guatemala était le cœur du monde Maya, couronné par les temples de Tikal,
qui s'élèvent les profondeurs de la jungle del Péten. Les blessures de l'histoire
ont fait du Guatemala et des contrés voisines, des pays à deux vitesses. D'un
coté, les indigènes natifs ancrés dans la vie traditionnelles ; de l'autre coté,
les latinos, descendants des espagnols vivant dans la modernité. Résultat :
des guerres aujourd'hui apaisées, mais des tensions et une pauvreté persistantes.
Dans cette ambiance, les " gringos " (étrangers) apparaissent comme des poules
aux œufs d'or et des proies faciles. Pas évident, de voyager en solitaire !
Les règles de prudence deviennent des réflexes. L'instinct prévient des dangers.
Je croise les doigts… et vagabonde allègrement. Après des jours de route, j'atteins
des décors paradisiaques, où se nichent les villages indigènes comme celui de
Todos Santos dans le Nord, ou ceux des eaux bleues du lac sacré Atitlan.
Le temps semble s'être arrêté...
Les
marchés populaires flamboient des couleurs vives des costumes locaux, aux portes
des églises blanches brûlent des feux d'offrandes. Pervers, le monde moderne
pénètre la culture Maya. Si l'argent du tourisme améliore le niveau de vie,
l'éducation et la santé, il détruit les cultures qui s'étiole face au rêve américain.
Guatemala City, en vue ! Dans la capitale surpeuplée et dangereuse, les bidonvilles
ne cessent de grossir. A peine arrivée, je m'installe dans un boui-boui le temps
de l'incontournable poulet frites et fais le point. Ici, il est prudent d'éviter
de se balader seule, se promener dans la foule, sortir à la tombée de la nuit,
poser son sac, transporter de l'argent etc…
La " gringa solita " (petite étrangère seule) ne s'attarde pas. La tranquillité
s'est réfugiée à Antigua, l'une des plus belles villes coloniales de toutes
les Amériques. On y vient du monde entier pour apprendre l'espagnol. Aux études,
je préfère l'ascension du volcan Pacaya. Samedi matin : l'expédition s'organise.
Sur place, le volcan crache fumerolles, pierres et lave ! L'ascension reste
cependant possible sur l'autre versant… Une formidable poussée d'adrénaline
propulse les plus téméraires - ou les plus stupides - au sommet. Peu fier de
mon exploit je pense : " Pourvu que ma mère ne l'apprenne jamais… ", " S'il
y avait une éruption..." Dimanche après-midi : un vacarme assourdissant se fait
entendre. A la une de l'actualité : La terrible colère de Pacaya ! Les chemins
de l'angoisse…
Quinze heures de bus pour 457 kilomètres dans la journée. Epuisée, j'arrive
au Honduras, accueilli par une magnifique éclipse de lune. Dès le lendemain,
j'explore les ruines de Copen : escaliers de hiéroglyphes, stèles géantes, sculptures
divines… Comment les Mayas purent-ils bâtir un tel empire ? Tant de mystères
demeurent… Changement de décor : cap vers la côte des Caraïbes. Ici, les habitants
majoritairement des "black ", descendants des esclaves africains débarqués par
les Espagnols.
A deux heures de bateau se trouve des îles paradisiaques : mer turquoise, sable
blanc, palmiers et cocotiers. L'inactivité me pèse, l'ennui me gagne laissant
libre champ à mes angoisses étouffées. J'ai entendu tant de mésaventures de
baroudeurs - vol, agression, viol, voire assassinat - que j'en fais des cauchemars
et deviens paranoïaque. Je dois réagir, poursuivre le voyage… Du nord au sud,
la route qui conduit à Tégucigalpa, la capitale du Honduras, est celle qu'a
emprunté l'ouragan Mitch. Villages, plantations, routes, ponts, etc.… tout a
été détruit. Le pays se reconstruit, la vie continue. Les marchants ambulants
manifestent. "Laissez nous le droit de travailler " clament les slogans contre
l'arrêté municipal qui interdit leur présence sur les trottoirs de Tégucigalpa.
Toute cette agitation et quelques verres de Tequila, ne me dérident pas.
Du
sport et dur rire pour se refaire une santé au Nicaragua.
J'ai
à mon actif, 8154 kilomètres, cinquante trois jours de route et un espagnol
très correct. Pour le reste ça va plutôt mal :
fatigue, angoisses persistantes, moral à zéro et estomac brouillé. Pour me refaire
une santé physique et mentale, une seule solution : du calme et du sport. L'île
Ometepe, sur le lac du Nicaragua, s'avère l'endroit idéal. Vélo, course à pied,
escalade des volcans de l'île…
Au fils des jours je reprends des forces, mon malaise s'apaise, je me régale
de poissons frais et réapprends à rire et. La cure sportive se poursuit dans
les parcs nationaux du Costa Rica. Au cœur des forêts tropicales humides, les
randonnées s'achève invariablement sous le crachin. Dans ce pays, le plus riche
et le plus sûr d'Amérique Centrale, je fais le plein d'énergie.
Frissons,
émotions et victoire…
Panama,
l'étape tant redoutée. Quelle frousse à l'idée de pénétrer dans le territoire
des américains, des trafiquants de drogue et des guérillas ! Ma bonne étoile
me protège. Quelle émotion d'être là, devant le Canal de Panama, l'une des plus
grandes œuvres technologiques jamais réalisée par l'homme ! Je ressens comme
un sentiment de victoire. 9.900 kilomètres, deux mois et demie pour traverser
six pays sur la piste des Mayas. La tête pleine d'images je reprends mon sac
à dos. En route vers l'Amérique du Sud pour d'autres aventures…
Texte
et photos
Idalina Pereira
Article publié dans le magasine Parfum d'extremes
(¹)Zapatiste
: En 1994, un groupe de paysans armés - l'armée Zapatiste de libération nationale
(EZLN) attaquait la ville de San Cristobal, dans l'état du Chiapas, pour défendre
les Indiens opprimés. Le soulèvement, vite réprimé par les militaires, avait
fait la une de l'actualité mondiale. Malgré les promesse du gouvernement rien
a changé dans la région.
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