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Désert d'Atacama, Patagonie et Terre de Feu. Entre déserts et canyons, volcans enneigés, lacs, glaciers, fjords, steppes, sur fond de Cordillère des Andes, ce coin du monde dresse des univers fantastiques. C'est la dernière étape de ma traversée en solitaire de l'Amérique Latine : 4.300 kilomètres depuis le Grand Nord Chilien jusqu'aux régions australes du bout du monde. Un voyage entre le feu et la glace qui ébranle au plus profond de l'âme.

La rude magie du désert d'Atacama

Qu'il fait bon poser ses valises à San Pedro d'Atacama, petite oasis plantée au cœur du désert qui se consume sous la fournaise d'un soleil incandescent. En ces lieux, de mémoire d'homme, on ne se souvient que de deux pluies : l'une en 1882, l'autre en 1965. C'est dire à quel point tout semble immuable dans le village aux vieilles maisons blanches en adobes - briques faites d'un mélange de boue et de paille séchées -, où quelques chiens sans colliers somnolent aux coins des ruelles en terre battue, ombragées tant bien que mal, par des lauriers-roses. Dans cet havre de quiétude, le temps semble ne pas avoir prise et je coule des jours heureux. Il faut dire que j'ai bien besoin de me requinquer après les multiples péripéties qui ont jalonné mon itinéraire à travers l'Amérique Latine. Mexique, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Costa-Rica, Panama, Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie sont derrière moi. Pour autant, l'épreuve des kilomètres, la fatigue, l'angoisse, l'estomac tourmenté et autres menus problèmes ne viennent pas à bout de l'enthousiasme des âmes aventurières. Un peu de repos, quelques bons plats accompagnés d'un verre de pisco sour - brandy servi avec jus de citron, blanc d'œuf et sucre en abondance - et l'on reprend la route d'un bon pied.
Pour découvrir l'univers magique du rouge désert d'Atacama, il ne faut pas hésiter à enfourcher un vélo malgré la canicule et pédaler des heures durant sur l'interminable ligne droite de bitume, coulée là où même les cactus n'ont plus droit de cité. Puis, on est heureux de se perdre sur des pistes de sable conduisant au milieu de nulle part. Là-bas, au fin fond du désert, se niche la légendaire Vallée de la Lune, un somptueux chaos d'étranges silhouettes rocheuses qui forment un paysage lunaire surréaliste. Assise au sommet d'une dune, j'admire le désert qui flamboie tel un enfer somptueux, alors que le soleil décline à l'horizon et que naît une fraîche nuit d'étoiles qui brillent comme nulle part ailleurs dans l'hémisphère.
Après la canicule, le grand froid. Vers quatre heures du matin, les passagers s'entassent dans un minibus, made in Japon. Direction : " El tatio ", les plus hauts geysers du monde, situés à 4300 m d'altitude. La carcasse métallique, à fond de deuxième, entreprend l'ascension sur une piste caillouteuse, franchit ornières, nids de poules et cours d'eau verglacés avec brio. Frigorifiés, entassés et ballottés, les voyageurs ensommeillés maudissent l'interminable expédition. Après trois bonnes heures de route, on arrive à destination. Température : -20°. Le froid mord la peau, paralyse les pieds et les mains et gèle le bout du nez.
Dans l'air glacé, une trentaine de geysers éparpillés entre les volcans, tels des cratères en ébullition, attendent le réchauffement de la terre pour cracher leurs volutes d'eau gazéifiées.
Ce qui suit est grandiose : c'est la confrontation de la glace et du feu ; l'union des entrailles de la terre et du ciel. Soudain, jaillissent dans les airs des trombes d'eau bouillonnante qui s'évaporent en immenses fumerolles blanches et disparaissent dans les cieux. Un spectacle de création du monde !


C'est déjà l'automne à Santiago du Chili

1500 kilomètres plus au sud, après 26 heures de bus non-stop, apparaît Santiago du Chili.J'aime ces interminables trajets qui mènent toujours quelque part. Pendant ce temps, je lis, j'organise, au fur et à mesure, les étapes des lendemains. A ceux qui me demandent pourquoi je voyage seule, je réponds que l'on est jamais seul. Les rencontres se succèdent, les amitiés se nouent, l'hospitalité naît naturellement et tout ceci conduit vers des aventures insoupçonnées.
Fin mai, c'est déjà l'automne dans la capitale. Les feuilles dorées s'envolent et virevoltent entre les tours de béton et de verre. Les passants pressés s'engouffrent dans le métro. Sans m'appesantir sur ce retour brutal au monde occidental, j'organise mon expédition vers le sud. Le voyage est aléatoire, car à cette époque, plus on descend vers le Sud, plus on entre dans l'hiver austral. Le bateau circulera-t-il entre les fjords chiliens ? Les sentiers de la Patagonie seront-ils accessibles ? La route sera-t-elle ouverte plus au Sud ? Autant de questions auxquelles on me répond souvent par : " Il ne faut pas y aller. Il fait bien trop froid et il y a trop de neige. La route est fermée. " Faisant confiance à ma bonne étoile, je prends la route australe. On verra bien…


Merveilleuses contrées sauvages de la Patagonie andine

Des fjords sur la cote pacifique, des plateaux balayés par des vents violents, des sommets enneigés, des lacs, des forêts millénaires, des glaciers purs…. La Patagonie est un territoire qui recèle tant de trésors.
Cette région immense est coupée du Nord au Sud par une ligne droite invisible : la frontière entre Chili et Argentine. A chaque passage, on s'enrichit d'une collection de timbres. Vive la bureaucratie qui gaspille les précieuses pages de mon passeport ! Osorno, Bariloché, Puerto Montt : autant d'étapes qui marquent les premiers pas en terre patagonienne. On dit que pour continuer la route australe, le meilleur moyen de transport est le bateau. Au bon souvenir de Moby Dick qui m'avait, enfant, tant fait rêver, je saute dans un ferry avec… une cargaison de vaches et des moutons ! Cinq jours de navigation, soit 1800 kilomètres à travers les fjords chiliens dans le " Golfe des peines ", permettent de relier Puerto Montt à Puerto Natales.
Croisière de rêve quand brille le soleil, le voyage se transforme en cauchemar quand sévit la tempête. Le paysage supposé fabuleux fait place à un monde glauque : une brume épaisse enrichie d'un crachin insidieux. Les fjords sont envahis par une mer noire et furieuse. Le roulis règne en maître tandis que des vagues furieuses s'écrasent sur le pont. Enfermée dans ma cabine, j'attends… Je n'ai jamais eu le pied marin, mais là, avec les relents de cette ferme flottante aux airs d'Arche de Noé, c'est pire que tout. Frigorifiée, malade et livide, c'est avec un soulagement immense que je débarque sur la terre ferme. Adieu Moby Dick !
La patagonie est un territoire vierge où les amoureux de la nature peuvent encore s'extasier loin du tourisme de masse. Hors saison, c'est encore mieux. Dans le parc national " Torres del Paine " seule une poignée d'aventuriers en quête d'absolu et en autonomie complète, bravent les intempéries et se lancent sur les 250 kilomètres de sentiers sauvages. Des jours durant, on longe les milles et un lacs aux eaux scintillantes comme des diamants, lovés au pied des glaciers et des neiges éternelles qui se fondent dans la steppe. Ici, au cœur d'une nature belle et rude, on sillonne les chemins escarpés qui conduisent des légendaires " Torres del Paine ",
quatre tours de granit dressées dans l'azur, jusqu'au Glacier Grey, un royaume d'icebergs qui fait rêver d'Antarctique. Chemin faisant, la Patagonie confirme sa réputation : les conditions climatiques sont imprévisibles et dangereuses ! Les saisons se succèdent et se bousculent d'un jour à l'autre. Lundi, on se réjouit du soleil, du ciel bleu et on flâne en guettant un troupeau de Guanaco, une famille de nandou ou quelques renards peu farouches. Le lendemain, on maudit la pluie et on avance tête basse. Jeudi, au petit matin, je passe la tête hors de la tente et m'émerveille face au tapis de neige immaculée qui a effacé les sentiers. Viendra le vent, le fameux vent violent, qui souffle et siffle sans crier gare, qui vous empêche de marcher et vous emporte à la renverse. D'abord, je m'agrippe à un rocher pour ne pas m'envoler. Quelques mètres plus loin, c'est la chute dans le ravin ! Au fils des jours, les vivres s'amenuisent et je commence à avoir l'estomac dans les talons. Mais qu'il pleuve ou qu'il vente, que l'on soit épuisé et que l'on ait faim, chaque instant passé dans ces contrées sauvages est accueilli comme un cadeau de la vie.
Parmi les perles divines de la Patagonie, il en est une plus magique encore, qui défie l'imagination : le glacier " Perito Moreno ". Situé en Argentine, c'est l'un des rares glaciers du monde qui avance encore (environ 100 mètres par an). Tel un mirage, des milliers d'icebergs géants bleus comme l'azur, forment un front de quatre kilomètres de long et soixante mètres de haut. Les parois glaciaires naissent des montagnes, s'élèvent vers les cieux et disparaissent dans les eaux.
La pureté des blocs de glace se reflète dans les eaux du " Lago Argentino ". Soudain, un impressionnant pan d'iceberg se fissure, se détache et s'effondre dans le bras sud du lac. Les eaux montent subitement de plusieurs mètres ; un grondement furieux s'élève et résonne à l'infini. Le calme revient et quelques minutes plus tard le spectacle recommence. En Patagonie, face à la nature toute puissante, on reste bouche bée et on se sent si petit.

Ushuaïa, le bout du monde

Séparée par le détroit de Magellan, à l'extrême sud de l'Argentine se trouve la Terre de Feu. Cet archipel doit son nom à Magellan qui en 1520, lorsqu'il longea ce territoire, aperçu des fumées s'élever dans le ciel ; c'étaient les indiens natifs, les Onas et les Yaghans, qui allumaient des feux. Aujourd'hui, les derniers survivants se comptent sur les doigts d'une main !
C'est dans cette région où vient mourir la Cordillère des Andes, que se trouve Ushuaia, la ville la plus australe du monde. Pour arriver jusqu'ici, j'ai traversé l'Amérique Latine d'un bout à l'autre. Partie de Mexico, j'ai fait route vers le Sud. Six mois plus tard, après plus de 27.000 kilomètres, un samedi à 19h00, j'atteins enfin Ushuaia. On y découvre des falaises et des glaciers, des fjords, des canaux, des phoques, des morses, et… des pingouins ? Non, car fuyant l'hiver austral, ils sont tous remontés vers les Iles Galapagos.
Dans le lointain, brille l'ultime phare du bout du monde. Encore plus loin, là où les eaux se transforment en glace, naît l'Antarctique. Mon périple s'achève ici, mais l'aventure est loin d'être finie, car on dit bien qu'Ushuaia est " le bout du monde et le commencement de tout… "


Texte et photos
Idalina Pereira

Article publié dans le magasine Parfum d'extremes

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