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Dix-sept jours. Il m'aura fallut dix-sept jours pour entrer au Tibet. Enfin, j'étais là sur le toit du monde et... bloquée comme une idiote à l'aéroport. "Où est votre groupe ? Où est votre guide ? " me harcèlent trois officiers chinois en épluchant mes papiers. Ces documents, obtenus contre une bonne liasse de dollars à Katmandu, indiquent que je fais partie d'un groupe organisé, seul moyen actuellement pour entrer au Tibet. Pourvu que ça marche... Quatre heures d'angoisse et... le Tibet s'offre à moi !

 

Lhassa à 4200 mètres d'altitude se niche au cœur des montagnes dénudées.

J'ai le souffle court. Je m'acclimate pendant une semaine et visite la légendaire "cité interdite ". Au pied du Potala, palais du Dalaï-Lama en exil, siègent désormais les casernes de l'armée chinoise et le vacarme d'une discothèque.
Autour, les grandes avenues de macadam bordées de façades bétonnées se pavanent de boutiques "Made in China", karaokés et boîtes de luxe, signature de 40 ans d'occupation et de submersion ethnique. Je préfère flâner dans les ruelles sinueuses du Barkhor, là où l'âme de Lhassa refuse de mourir. Cette enclave de 3km2 a conservé quelques demeures traditionnelles aux murs blanchis à la chaux et aux fenêtres peintes. Il fait bon se joindre au va et vient des pèlerins vêtus de longues robes noires qui, moulin à prières à la main envahissent le Jokhang, le temple sacré. Entre les murs noircis par des années de lampes à beurre, résonnent les incessantes litanies et s'élèvent les volutes de genévrier brûlé. Ambiance mystique que l'on retrouve dans les monastères de la vallée. Encore faut-il pouvoir y accéder. Le bus ? Idéal pour ceux qui savent lire chinois. Pour les moins érudits, comme moi, il suffit d'accepter de se tromper une fois ou deux avant d'arriver à destination.
Tout autre souci : l'omniprésence des autorités officielles. L'œil toujours aux aguets, j'évite les képis comme la peste. Le jour où un jeune moine tibétain curieux manipule mon appareil photo l'altercation est inévitable. Tandis qu'il reçoit les coups, j'ai droit à une sévère réprimande. Pas fier la petite française ! Mon malaise s'accroît le lendemain, lorsqu'on me dit à l'hôtel " un Monsieur vous cherche... " Faut plus traîner ici. Grâce aux informations glanées pendant la semaine auprès d'autres voyageurs je mets le cap vers l'ouest.

Le Mont Kaïlash, trône des dieux

Direction : le Mont Kaïlash, la montagne sacrée. On la dit inaccessible. On m'avait dit et répété "Seule, tu ne pourras jamais y parvenir". Et pourtant, j'étais sur la route, ballottée de camion en Jeep bondés, avec des Tibétains et autres baroudeurs. Dix heures de route quotidienne sur des pistes sans fin. Angoisse aux tripes à chaque poste de contrôle. Je suis épuisée, sale, j'ai la gorge sèche, les fesses en compote, les jambes tétanisées...Mais rien ne vaut la beauté de cet univers minéral,où la terre rejoint le ciel, où chaque lieu est empreint d'une force mystique.
Septième jour :soudain, au cœur du désert surgit la cime du Mont Kaïlash dressée en solitaire à 6714 mètres ! Selon la légende, le sommet est le trône des dieux, ainsi il est interdit de le gravir et chacun se contente de l'honorer en accomplissant le tour de la montagne.
A pied d'œuvre, j'entame le parcours rituel sur les traces des pèlerins : trois jours de marche à plus de 4600 mètres d'altitude et l'ascension d'uncol à 5700 mètres.
J'y dépose une pierre pour obtenir la protection des dieux, comme le veut la coutume.L'air est rare. Je tousse. Mais l'épreuve des kilomètres, l'altitude,le froidqui mord la peau,le soleil qui brûle les visages, ne viennent pas à bout de ceux qui arrivent jusqu'ici. Je marche.
Les étapes se graventà jamais dans mamémoire :les monastères, refuges d'une nuit;l'étrange cimetière Siwatshal où vêtements épars, touffes de cheveux et cairns jonchent le sol; le lac de la compassion aux eaux turquoise gelées; la grotte aux miracles...
Plus forte que l'épreuve physique est l'émotion de ces moments partagés avec les Tibétains. Les pauses " thé tibétain ", un breuvage beurré-salé étrange mais vivifiant, sont propices aux bavardages. Avec mon lexique et le langage universel des signes, on arrive à se comprendre. Je sympathise avec une vieille tibétaine coiffée d'or et de turquoises qui se moque sans cesse de mes trois boucles à l'oreille gauche. Le tour du Kaïlash accompli, le pèlerinage se poursuit trente kilomètres plus loin, sur les rives du Lac Manasavorar, où jadis furent dispersées les cendres de Gandhi.

Prochaine étape : l'Everest.

Sac à dos, je reprends la route vers Tingri.De là, je serai à cinq jours de marche du camp de base de l'Everest. La carte indique un poste de police, à la sortie du village. Seule solution : passer pendant la nuit. Morte de frousse j'y vais, les poches emplies de cailloux pour affronter les chiens enragés qui pullulent. Ma hantise. Ouf ! Pas de problème. A présent, il suffit de suivre le sentier qu'empruntent les caravanes qui traversent l'Himalaya pour atteindre le Népal. Un trekking idéal, pour découvrir les villages, la vie des nomades, cuisiner au feu de bouses de yak et apprécier la cuisine locale. Au menu : soupes chinoises où " tsampa " bouillie d'orge. A défaut d'apprécier on se cale l'estomac.

"Garde toujours l'espoir"

Lorsque j'arrive au pied de l'Everest, la tempête s'installe. Elle durera quatre jours. Mes vivres épuisées, dépitée, gelée je quitte les lieux. Je me retourne une dernière fois et... l'Everest m'apparaît dans toute son immensité de neiges éternelles, comme pour me dire " garde toujours l'espoir ".
Heureuse, je poursuis mon chemin, longeant une rivière des heures durant. Pas de pont ! Je dois pourtant traverser.
Première tentative : le courant est trop fort. Deuxième tentative : le courant m'emporte... je finis écrasée contre un rocher. Plus de peur que le mal. Evidemment, une galère ne vient jamais seule.Au village voisin, deux énormes chiens se jettent sur moi. L'attaque me vaut deux morsures à la cheville droite et les petits soins de tous les villageois. "Mourir de la rage ?" Non. Mon visa arrive à expiration dans 5 jours, juste de temps nécessaire pour atteindre Katmandu et m'y faire vacciner. Je quitte le toit du monde, cet espace si près du ciel, où l'homme marche en cherchant son souffle, le regard tourné au plus profond de l'âme. Mon rêve tibétain s'est accompli.


Texte et photos
Idalina Pereira

Récit publié dans le magasine Parfum d'Extrêmes (Décembre 1999)